27 mai 2021 : Emmanuel Macron à Kigali
Sur ce chemin, seuls ceux qui ont traversé la nuit peuvent peut-être pardonner, nous faire le don alors de nous pardonner.
Ce sont les mots qu'a utilisés Emmanuel Macron pour demander le pardon,
au nom de la France , aux victimes du génocide.
Nous espérons que cette demande de pardon contribuera à améliorer les relations franco-rwandaises.
Voici le texte du discours prononce par Emmanuel Macron à Kigali ce 27 mai 2021
Emmanuel Macron à Kigali, jeudi 27 mai 2021
« "Seul celui qui a traversé la nuit peut la raconter"
Ce sont ces paroles, empreintes de gravité et de dignité, qui résonnent en ce lieu, ici au mémorial de Gisozi, à Kigali.
Raconter la nuit.
Ces paroles convoquent un insondable silence. Le silence de plus d'un million d'hommes, de femmes, d'enfants, qui ne sont plus là pour raconter cette interminable éclipse de l'humanité, ces heures où tout s'est tu.
Elles nous racontent la course éperdue des victimes, la fuite dans la forêt ou dans les marais. Une course sans arrivée et sans espoir, une traque implacable qui reprenait chaque matin, chaque après-midi, dans une terrible et banale répétition du mal.
Elles nous font entendre la voix de ceux qui, après avoir trébuché, ont affronté la mort ou la torture de leurs bourreaux sans un cri, parfois pour laisser s'enfuir un proche, un parent, un enfant, un ami, qu'ils avaient protégé jusqu'à leur dernier souffle. Ces voix qui se taisaient quand montait, à l'aube, l'insoutenable euphorie des chants de rassemblement de ceux qui tuaient "ensemble" et de ceux qui partaient, dans leur vocabulaire dévoyé, au "travail".
Ce lieu leur restitue tout ce dont on avait tenté de les priver : un visage, une histoire, des souvenirs. Des envies et des rêves. Et surtout une identité, un nom - tous les noms, gravés, un à un, inlassablement sur la pierre éternelle de ce mémorial.
Ibuka, souviens-toi.
Ces paroles nous font entendre aussi la voix de ceux qui portent la plaie de cette nuit, ceux qui portent la blessure béante d'avoir été là et d'être encore là. Ceux dont nous n'avons écouté la souffrance ni avant, ni pendant, ni même après, et c'est peut-être là le pire. Survivants, rescapés, orphelins, c'est grâce à leur témoignage, à leur courage, à leur dignité que nous mesurons combien il ne s'agit pas de chiffres ou de mots, mais de l'irremplaçable épaisseur de leurs vies.
Ces paroles disent une tragédie qui porte un nom : génocide. Elles ne s'y réduisent pas pour autant. Car il s'agit bien d'une vie, avec tous ses rêves, un million de fois fauchée.
Un génocide ne se compare pas. Il a une généalogie. Il a une histoire. Il est unique.
Un génocide a une cible. Les tueurs n'ont eu qu'une seule obsession criminelle : l'éradication des Tutsi, de tous les Tutsi. Des hommes, des femmes, leurs parents, leurs enfants. Cette obsession a emporté tous ceux qui ont voulu y faire obstacle, mais, elle, n'a jamais perdu sa cible.
Un génocide vient de loin. Il se prépare. Il prend possession des esprits, méthodiquement, pour abolir l'humanité de l'autre. Il prend sa source dans des récits fantasmés, dans des stratégies de domination érigées en évidence scientifique. Il s'installe à travers des humiliations du quotidien, des séparations, des déportations. Puis se dévoile la haine absolue, la mécanique de l'extermination.
Un génocide ne s'efface pas. Il est indélébile. Il n'a jamais de fin. On ne vit pas après le génocide, on vit avec, comme on le peut.
Au Rwanda, on dit que les oiseaux ne chantent pas le 7 avril. Parce qu'ils savent. C'est aux hommes qu'il appartient de briser le silence.
Et c'est au nom de la vie que nous devons dire, nommer, reconnaître.
Les tueurs qui hantaient les marais, les collines, les églises n'avaient pas le visage de la France. Elle n'a pas été complice. Le sang qui a coulé n'a pas déshonoré ses armes ni les mains de ses soldats, qui ont eux aussi vu de leurs yeux l'innommable, pansé des blessures, et étouffé leurs larmes.
Mais la France a un rôle, une histoire et une responsabilité politique au Rwanda. Elle a un devoir : celui de regarder l'histoire en face et de reconnaître la part de souffrance qu'elle a infligée au peuple rwandais en faisant trop longtemps prévaloir le silence sur l'examen de la vérité.
En s'engageant dès 1990 dans un conflit dans lequel elle n'avait aucune antériorité, la France n'a pas su entendre la voix de ceux qui l'avaient mise en garde, ou bien a-t-elle surestimé sa force en pensant pouvoir arrêter ce qui était déjà à l'œuvre.
La France n'a pas compris que, en voulant faire obstacle à un conflit régional ou une guerre civile, elle restait de fait aux côtés d'un régime génocidaire. En ignorant les alertes des plus lucides observateurs, la France endossait alors une responsabilité accablante dans un engrenage qui a abouti au pire, alors même qu'elle cherchait précisément à l'éviter.
A Arusha, en août 1993, la France pensait, aux côtés des Africains, avoir arraché la paix. Ses responsables, ses diplomates, y avaient œuvré, persuadés que le compromis et le partage du pouvoir pouvaient prévaloir. Ses efforts étaient louables et courageux. Mais ils ont été balayés par une mécanique génocidaire qui ne voulait aucune entrave à sa monstrueuse planification.
Lorsqu'en avril 1994, les bourreaux commencèrent ce qu'ils appelaient odieusement leur "travail", la communauté internationale mit près de trois mois, trois interminables mois, avant de réagir. Et nous avons, tous, abandonné des centaines de milliers de victimes à cet infernal
Au lendemain, alors que des responsables français avaient eu la lucidité et le courage de qualifier le génocide, la France n'a pas su en tirer les conséquences appropriées.
Depuis, vingt-sept années de distance amère se sont écoulées. Vingt-sept années d'incompréhension, de tentatives de rapprochement sincères mais inabouties. Vingt-sept années de souffrance pour ceux dont l'histoire intime demeure malmenée par l'antagonisme des mémoires.
Alors, en me tenant, avec humilité et respect, à vos côtés, ce jour, je viens reconnaître nos responsabilités. C'est ainsi poursuivre l'œuvre de connaissance et de vérité que seule permet la rigueur du travail, de la recherche et des historiens. Et nous le poursuivrons encore en soutenant une nouvelle génération de chercheurs, de chercheuses, qui ont courageusement ouvert un nouvel espace de savoir. En souhaitant qu'aux côtés de la France toutes les parties prenantes à cette période de l'histoire rwandaise ouvrent à leur tour toutes leurs archives.
Reconnaître ce passé, c'est aussi et surtout poursuivre l'œuvre de justice. En nous engageant à ce qu'aucune personne soupçonnée de crimes de génocide ne puisse échapper au travail des juges.
Reconnaître ce passé, notre responsabilité, est un geste sans contrepartie. Exigence envers nous-mêmes et pour nous-mêmes. Dette envers les victimes après tant de silences passés. Don envers les vivants dont nous pouvons, s'ils l'acceptent, encore apaiser la douleur. Ce parcours de reconnaissance, à travers nos dettes, nos dons, nous offre l'espoir de sortir de cette nuit et de cheminer à nouveau ensemble. Sur ce chemin, seuls ceux qui ont traversé la nuit peuvent peut-être pardonner, nous faire le don alors de nous pardonner.
Diibuka.
Diibuka.
Diibuka.
Je veux ici, en ce jour, assurer la jeunesse rwandaise qu'une autre rencontre est possible. N'effaçant rien de nos passés, il existe l'opportunité d'une alliance respectueuse, lucide, solidaire, mutuellement exigeante, entre la jeunesse du Rwanda et la jeunesse de France.
C'est l'appel que je veux lancer ici. Baptisons ensemble de nouveaux lendemains. Préparons ici, pour nos enfants, de prochains souvenirs heureux. C'est le sens de l'hommage que je veux rendre à ceux dont nous garderons la mémoire, qui ont été privés d'avenir et à qui nous devons d'en inventer un. »
La France porte une lourde responsabilité dans la tragédie à conclu le rapport commandé par Emmanuel Macron à un groupe d'historiens français , menés par Vincent Duclert. Ce rapport présenté fin mars 2021 a été suivi en avril de la parution d'un autre rapport, commandé cette fois par le Rwanda à un cabinet d'avocat américain, avec quasiment les s mêmes conclusions: la première est que « l'État français porte une lourde responsabilité pour avoir rendu possible un génocide prévisible ». « Des responsables français ont armé, conseillé formé et protégé le régime rwandais, ne tenant pas compte de la volonté du régime du président Habyarimana de déshumaniser les Tutsis au Rwanda, et à terme, d'assurer leur destruction et leur mort. » Premier responsable de cette politique, assure le rapport, le président François Mitterrand, qui « lui-même comprenait ce risque et l'acceptait ».
La seconde conclut ensuite qu'au « cours des vingt-cinq dernières années, l'État français a mené une opération de camouflage afin d'enterrer son passé au Rwanda ». Et de faire allusion aux enquêtes « biaisées », comme celle de la commission Quilès, ou celle du juge Bruguière qui s'est appuyée « sur le témoignage de génocidaires ».
Le rapport souligne aussi que la justice française a fait de l'obstruction pendant des décennies pour ne pas livrer les génocidaires à la justice, que de nombreuses personnes soupçonnées d'être des génocidaires ont trouvé refuge en France, qu'il a fallu attendre 27 ans et la parution du rapport Duclert pour que Paris donne accès aux archives qui montrent ce que l'exécutif disait, savait et faisait. Et que la France a ignoré à trois reprises la demande de l'État Rwandais de bien vouloir lui communiquer trois séries de documents pour les besoins de son rapport.